Formation des imams en Suisse - Samir Radouan Jelassi
Une formation pour donner aux imams les clés de la société suisse
Alors que le projet de «centre suisse pour l’islam et la société» se concrétise, une poignée d’élus de droite s’indigne et demande au Conseil d’Etat fribourgeois d’intervenir pour mettre fin aux ambitions de l’université de former des imams en Suisse
Le Centre suisse pour l’islam et la société prend corps. Jeudi à Fribourg, des représentants des milieux académiques, de la communauté musulmane de Suisse et des milieux associatifs étaient réunis pour définir les contours de cet institut destiné à former des imams. L’université espère ouvrir les premiers cours dès l’automne. Pour un module de formation continue, il faudra attendre le printemps 2015. «Avec ce centre, Fribourg pourrait devenir un haut lieu du dialogue interreligieux», s’est enthousiasmé hier le conseiller d’Etat Jean-Pierre Siggen, directeur de l’Instruction publique, devant une centaine de participants.
L’idée ne fait pas que des heureux. Dix jours avant ce colloque, des élus locaux sont sortis du bois pour tenter d’enrayer ces ambitions. Douze parlementaires, en majorité UDC, et quelques PDC, ont adressé un mandat au Conseil d’Etat, lui demandant d’«intervenir auprès de l’université afin qu’elle renonce au développement du centre». Les signataires s’indignent du financement public d’un tel projet, en partie à la charge de l’université. «On ne sait pas ce qui sera enseigné dans ce centre et jusqu’où ça ira. Les courants intégristes pourraient en profiter», pense Roland Mesot, président de l’UDC Fribourg. Le gouvernement a cinq mois pour prendre position.
«Il est très improbable que des courants radicaux se développent dans une université ouverte, de tradition libérale», rétorque Antonio Loprieno, recteur de l’Université de Bâle, à la tête de ce projet. Au contraire, dit-il, ce centre pourra donner naissance à «un discours musulman dans l’esprit libéral de notre tradition», affirme le chercheur, qui ne doute pas du soutien des autorités.
«Les musulmans sont une composante de la société suisse et ils sont ouverts au dialogue. Le fait qu’ils participent à ce projet le démontre une fois de plus», souligne de son côté l’imam de Lugano, Samir Jelassi Radouan, qui a fait partie du groupe de travail mené par Antonio Loprieno. Une telle formation, explique-t-il, doit permettre aux imams en Suisse d’être en prise avec «la réalité dans laquelle ils exercent leur ministère» et savoir répondre aux interrogations de leurs fidèles, «en particulier les jeunes de la deuxième ou de la troisième génération».
Ce Franco-Tunisien, titulaire d’une licence en droit et en théologie de l’Université islamique de France, est le premier imam formé en Europe qui officie en Suisse. «L’islam, dit-il, n’est pas figé, mais destiné à s’adapter à l’environnement dans lequel il évolue. C’est la notion de fiqh al waqia, la jurisprudence de la réalité.»
Le centre nourrit l’ambition de devenir un véritable cursus théologique pour la formation complète des imams. Il offrira tout d’abord une formation continue pour les prédicateurs déjà formés, ou toute autre personne, en Suisse, amenée à être en contact avec la population musulmane dans le cadre de sa profession: aumônier, enseignant en religion, membre du corps médical. «Le cursus s’adresse aussi à des Suisses qui s’intéressent aux questions d’intégration», note Antonio Loprieno.
A l’origine de ce projet, une enquête du Programme national de recherche, publiée en 2009, qui concluait à la nécessité d’offrir un cursus, en Suisse, pour la formation des imams. «Nous ne voulons pas que l’islam soit un sujet de la science, mais que les musulmans deviennent des acteurs de la science», explique Hansjörg Schmid, expert allemand en matière de dialogue inter-religieux, pressenti comme responsable du projet de Centre suisse pour l’islam et la société. Aux musulmans, qui s’interrogent sur la représentativité de la diversité de leur religion, il répond: «Nous ne souhaitons pas isoler une tradition en particulier, mais ouvrir l’espace à la polyphonie de l’islam.» Intégrer des imams de multiples origines «sera délicat», concède le théologien. D’où la prochaine étape: la mise sur pied d’un comité consultatif incluant plusieurs représentants de l’islam.
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